Contre l'évidence de l'objet, perçu,
imaginé, désigné,
contre l'appellation d'usage de la
chose,
contre la satisfaction ou le
désagrément qu'elle procure,
il y a, non à inventer
comme un mythe à qui suffit le mot, une nouvelle réalité. Celle-ci
est déjà là, pathologiquement. C'est par les manquements de nos
capacités, fonctions naturelles et facultés culturelles attendues
que dans les services neurologiques, dans les lieux de rééducation
fonctionnelle, on détecte et on mesure un écart entre l'activité
attendue et celle mise en action pour y parvenir. La réalité de la
manipulation réside dans ce rapport à ses troubles . Quand on ne
peut plus faire ou quand on fait n'importe quoi en apparence, la
question est posée de savoir ce qui est déterminant.
La réalité du trajet
n'a pas couramment de place dans la physique, la philosophie et les
sciences humaines. Catégorie du dictionnaire, elle se confond avec
la notion de trajectoire : un déplacement d'un lieu à un
autre. Elle y est rivée au sens particulier de changement intervenu
par le mouvement d'un « corps » qui se déplace.
Nous savons que notre
univers est en évolution, que rien n'est fixe, qu'il s'agisse des
particules ou du cosmos. Il y a bien des actions naturelles qui se
passent de l'homme et de l'animal, les éléments naturels comme
l'eau, le feu, l'air et la terre comportent des forces de changement
qui les réaménagent sans cesse.
Si maintenant nous
prenons en compte la part spécifique de l'animal et de l'humain,
pour eux comme pour nous qui agissons, les choses changent aussi mais
autrement, par ce que nous en faisons de moyens et des fins. La
différence entre l'action physique et l'action de l'animal ou de
l'homme ? Si nous envisageons la pluie, elle nous apparaît
largement comme un phénomène naturel sur lequel nous n'avons pas de
prise. Largement jusqu'à maintenant où ce fait climatique apparaît
clairement comme le résultat de nos activités industrielles. Le
même constat de notre participation à l'environnement peut être
fait s'agissant de l'air, de la terre et du feu : nous ne sommes
pas face à des éléments, évènements naturels, nous les
produisons. Y a-t-il des faits qui ne nous doivent rien qui existent
et qui existeront indépendamment de nous, de toute éternité ?
La recherche quant à la physique des particules voudrait établir
l'origine de la matière et de l'énergie, elle se doit de
neutraliser notre subjectivité mais elle le fait avec nos appareils
dont la construction renvoie à nos propres pouvoirs qui sont
nécessairement limités en nombre et en qualités. Bref, nous
retournons à cette impossibilité qu'il y a à saisir un réel
séparé de nos moyens d'action pour le comprendre.
Nous pouvons penser que
le monde existe et évolue indépendamment de nous mais nous ne
pouvons rejoindre ce réel que par la médiation de nos moyens et de
nos fins élaborés.
Il nous faut requalifier
l'objectivité comme une objectivation, une tentative de la science
pour poser un objet conçu par le langage logique. Mais pour ce faire
elle ne peut que s'appuyer sur la physique constituée de matériel
et d'expériences. C'est à ce point qu'on touche au trajet :
réalité de la chose en tant que moyen et fin dans le rapport à
notre capacité de mouvements.
Voir les choses telles
qu'elles font, suppose une posture de travail : nous y
recherchons des possibilités d'agir, à moins que cette recherche ne
soit dictée par elles, nous orientant vers telle ou telle action.
Devant un verre plein d'un breuvage, on n'attend pas qu'il nous fasse
entendre une petite musique. Il semble que les choses ouvrées de
notre entourage comportent des programmes d'action qui prédéterminent
nos activités.
Voici ce que j'appelle de
la raquettotropie, soit une raquette qui nous fait voir le monde par
l'interception d'un projectile et le placement de notre potentiel
muculo-squelettique pour donner des coups en renvoies. Ce n'est pas
tout, un filet, principal obstacle, barre la profondeur de l'espace,
une aire délimitée impose un ajustement répété chaque fois
fonction de la trajectoire reçue de l'autre et celle visée.
L'ergotropie, quant à
elle ne veut rien, elle serait par hypothèse ces analyses
constituantes et constituées auxquelles nous procédons à notre
insu, même si nous ne pouvons pas dire : « sans le
savoir ». Ces analyses en termes d'actions, de moyen et de fin
qui ont recours peu ou prou à la technique. Nous voilà dans le
rapport au trajet outillé. Mais avant, revenons-y, qu'est-ce que le
trajet et ensuite qu'est-ce que l'outil ?
Le trajet est une forme
de projection du sujet, un jet de ce lui-même qu'il est quand il
agit en donnant forme à ses mouvements, les ordonnant, les
coordonnant et les fragmentant. Si l'objet suppose la séparation
dans l'espace ou le temps entre une forme et un vide, une ségrégation
fondée sur l'agrégation de stimuli, qui porte ainsi le nom de
perception, le trajet nous situe dans l'activité : nous voyons
ce que nous manipulons, ce que nous pouvons manipuler, nous voyons
des pouvoir- faire. Le trajet est donc un moyen et une fin, un
moyen ou une fin. Pourquoi cette distinction entre le et et le ou.
Parce que l'action suppose une prise qui n'est moyen que parce qu'une
fin est en même temps, simultanément en vue. Dans l'action, le
moyen n'existe pas sans la fin ; ce qui explique qu'on est
pris, comme on dit par l'action, préoccupé par cette nécessité
naturelle instinctive de mettre en rapport le moyen avec la fin. Par
l'action nous sommes asservis au moyen et à la fin.
Quel processus abstrait
vient nous délivrer de cet asservissement que Jean Gagnepain nomme
capacité d'instrument ? Précisément ce qu'il nomme en
opposition notre capacité d'outil. Je parlerai aussi bien d'action
que d'instrument, de technique que d'outil, ceci pour rejoindre des
acceptions plus communes.
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