vendredi 12 mai 2023

Les images

 


De quoi parle-t-on ?


D'ordinaire, on ne se réfère pas à un objet au sens stricte de représentation. L'imaginaire qualifie plutôt ce processus de mise en rapport d'un indice avec un sens. C'est même l'impossibilité de s'en tenir à ce qu'on voit qui est l'enjeux en cause ; car chaque fois on extrapole, on interprète pour ne retenir d'une perception qu'un concept : on intellectualise, dit Lurça à propos des dessins d'enfants où s'observe une isolation et fragmentation des choses par les mots qui les désignent.


Ce point nous fait passer à l'image produite, l'icône, où le dessin désigne plus qu'il ne transcrit un objet perçu, passant du réalisme à de la magie. Les dessins qui déforment sont un exemple, qu'ils soient d'humour, apax graphiques, métagraphes ou encore diagrammes lorsque la modification est insensible à celui-là même qui la produit. Ainsi, les Figures de rhétorique de Pierre Fontanier peuvent s'appliquer aux dessins de presse visant à faire accroire et asseoir une opinion. À ceci près que la rhétorique n'est pas en cause mais spécifiquement, l'activité graphique.


Lorsque l'image produite va dans le sens de l'engagement politique, elle se fait affiche, emblème, qu'il s'agisse de faire valoir l'identité de son auteur (insigne) ou ses responsabilités civiques (enseigne). L'image argumente alors, elle cherche à convaincre, à faire reconnaître.


Enfin, l'image compose avec l'interdit en visant une satisfaction. Lelapsus calamiévoqué plus qu'invoqué par Freud fait dire à René Passeron qu'une « in-image »s'est introduite subrepticement dans l'image : « image niée par l'opérateur tout en étant présente dans l'image ». On rejoint ici le stratagème avancé par Jean Gagnepain. Stratagème qui peut porter sur n'importe quel interdit : ainsi l'opérateur peut rendre inconsciemment hommage à ses maîtres, ne sachant plus à qui il doit son style. Le transfert psychanalytique est en cause, plus que le plagiat.


En somme, l'image est déictique, dynamique, schématique, cybernétique. Mais de façons différentes : image perçue, imaginaire, conçue lorsque la représentation la motive, image dynamique lorsqu'il s'agit d'imposer techniquement une représentation, fictive, illusoire ou réelle, image schématique lorsque, emblème, elle est chargée de rendre hommage ou d'afficher une position politique, et enfin image cybernétique lorsqu'elle apporte une aide à la décision, fait valoir ou révèle un projet.

12-05-23



jeudi 27 avril 2023

L'écrit-lyre

L'écriture est aussi dessin, il faut en tirer pleinement les conséquences. Les matériaux et les dispositifs techniques impliqués ne sont pas seulement instrumentalisés par le signe et l'image, la signalétique en cause l'est aussi par les modalités de production qui ne sont pas asservis nécessairement au signe à produire. Dans l'écriture en train de se faire, des visées autres que le message verbal à transmettre sont à l'action (en marge de la consigne du maître, s'il s'agit de l'apprentissage de l'écriture à l'école) : dès lors, l'écrit devient, par magie de la cabalistique, ou par esthétique, une œuvre. On risque ainsi, aux yeux de l'apprentis qui s'applique néanmoins, la déconsidération par le maître d'un travail légitime bien que marginal.

Les « écritures de cochonde pattes de mouche »sont des balises en garde-fou, au bord du chemin de la transmission. Au lieu de les tolérer le temps que ça passe, leur donner toute une place en alternance avec« les devoirs »revient à quitter le mode d'échange unilatéral pour ne plus s'engager par le seul volontarisme mais expérimenter et finalement reconnaître un apport de l'autre qui socialement « petit d'homme » est cependant d'emblée pleinement technicien.





On accorde aux arts plastiques l'attention convenue d'une heure ou deux par semaine. Sachons que la plastique traverse aussi les performances journalières d'écriture de toutes sortes. Ce fait devrait inspirer le regard des correcteurs : la texture, le coup de patte, l'arabesque et la calligraphie sont pris en charge par l'apprentis en même temps que la consigne donnée. Mais il y a plus : la littérature fantastique montre en deçà de l'intérêt qu'on y prête le pouvoir attendu de ce qu'on apprend : c'est-à-dire bien plus que la banale traduction du message verbal. Coiffé ou non du chapeau de fée ou de magicien, ce sont des flèches qui sont décochées dans le cheminement du trait, vers quel but, nous n'en savons rien ou pas grand chose, mais c'est une motivation qui fait écrire. Et lorsque les hésitations deviennent des coups de baguette magique avec ou sans ruban, nous n'en doutons plus et nous écrivons dans l'espace avec nos apprentis magicien (les chorégraphies d'Isadora Duncan, de Loïe Fuller, sont là pour servir à travers ses voiles déployés). Ce sont des tours de magie qui s'enchainent en enluminures de toutes sortes, toujours singulières.

mardi 21 mars 2023

La décriture

 La décriture serait cette approche de l’écriture qui table sur le rapport à la diversité des moyens et des dispositifs. Elle voudrait être justifiée par la pesanteur de l’effet de sens rendu obligatoire pour établir la reconnaissance de l’écriveur qui sait lire — quel bonheur — et jouer de l'écri-lyre

Le visible n’est pas le lisible et les mots-images sont offerts pour ceux qui jouent par esthétisme avec la visibilité des mots. Look at, hello ! Et pourquoi pas, bien que les deux "o" qui valent pour faire voir des yeux ou des lunettes risquent — l'image-rie — de plomber les essors de ceux qui voudraient plus que s'en divertir. S’amuser avec les arabesques du graphisme : une patiente construction. 

Quoi qu'il en soit, ne soyons pas trop pressés de leur apprendre à lire et à écrire. Et partons sur les chemins de la pédagogie de maternelle qui, sans laisser-aller, laisse faire le découvreur de possibilités liées aux dispositifs qu’il met en place. Le pouvoir faire est épatant qui permet ce qu’on n’avait pas envisagé, c’est-à-dire plus que ce à quoi ça sert.

Et pourquoi ne pas produire des graphes inutiles, prendre plaisir à se donner soi-même une consigne en marge des prescriptions éducatives officielles. Pour autant il ne s’agit pas de cantonner l’écriveur dans sa patouille et gribouille, mais de le rendre fort d’un pouvoir-faire indépendant des standards sur lequel il saura s’appuyer sans dévoyer ses projets de textes.

Chacun a sa technique et les assurances qui vont avec. On déboussole facilement l’aventurier en rabâchant le même itinéraire sur une carte où d’autres parcours sont possibles. "Bien tenir son crayon, orienter sa feuille dans le bon sens, garder sa ligne, ne pas déborder", tous ces "gardes-fous" — le mot est fort, non? —  distribués tous en même temps intoxiquent. Pour plus de modestie et d’auto-critique: peut-on, chacun de nous, faire seulement deux choses en même temps ?




jeudi 20 octobre 2022

"Le bois des rencontrés"

 

« La terre n'est pas ronde »


Bruno Latour ne voulait pas s'engager dans une forme de paradoxe scientifique et littéraire ni même jouer avec la subjectivité des uns et des autres. Il pointait par ce constat l'artificialité de la terre.

Ceci dit, j'imagine l'équipée des rencontrés arpenter le terrain avec le cicerone Gilles Bruni. Elle est évidemment immense et l'on n'a jamais fini de l'explorer. L'arpentage n'est pas directement en cause, il ne s'agit pas de la mesurer. Pourtant la première métrologie de la marche produit une grandeur de temps et d'espace. L'oeil et le savoir ont à dire, l'oreille pour tranquilliser le lièvre, le lapin ou le chevreuil – le sanglier n'en a cure il fonce – la main aussi et sans quitter le compas dans l'oeil, elle réaménage prudemment le lieu, multipliant les unités et identités de moyens et de fins à partir de celles qui sont fournies.

Au final une carte des parcours exploratoires attentive aux techniques des uns et des autres dresse le constat de la pluri-dimensions, non de l'incertitude mais de l'indéterminé sinon l'indéterminable – je pense à Étienne Klein – . Trois ce n'est pas assez, dit le scientifique en mal de mondes ; et la physique suppute quant aux quanta. On tire sur des cordes : pour l'instant, personne n'a gagné. Car chacun y va de sa technique et s'attelle à ce qu'il trouve pour chercher encore : sous la couverture des mousses, un paysage imaginé, des tailles de sapins, des récoltes de lichens pour des crèches de Noël, des graffiti, des bûcheronnages inventifs, des bains de pieds improbables, des cabanes cachettes, des champs de batailles en clairière, des « arbres parapluie », des caches animales, des « champs à lapins », des crèmes solaires, des arbres-totems, des armes de chasseur : pièges, lances, frondes, des passerelles des plans de travail, des bois jardinés, des carrières, des collines à vues...

Le bois est là et partout jusqu'à occuper les appartements. Par revanche sur des bûcherons indifférents ? Peut-être, mais surtout pour la sentir, sentir ce qu'elle produit et comment nous la reproduisons, cette forêt, au-delà du « bois des rencontrés » qui vient ainsi à nous si nous n'allons pas à lui.

Pour revoir le site naturel de Beauport avec Gilles Bruni :

https://gillesbruni-beauport.blogspot.com

jeudi 13 octobre 2022

Hommage à Bruno Latour

 

« La terre n'est pas verte, elle n'est pas primitive, elle n'est pas intacte, elle n'est pas naturelle. Mais artificielle de part en part ».


Bruno Latour


Commentaire GLG :

Essaie de trouver un carré de terrain qui ne soit pas transformé par une technique ; je ne dis pas que la terre est une décharge à ciel ouvert. Même l'agriculteur qui a soin de ses plantes et pense à juste titre qu'il doit semer des graines viables, même lui, sait qu'il emploie aussi des compléments pour la faire pousser sans contrariété. La faire pousser, elle, mais lui et ses enfants dans tout ça ?

                                                                                    


J'ai passé au tamis la terre d'un m2 de paysage et j'ai trouvé sans microscope des grains d'homo faber, les produits de son activité. Technophobe, non, le technicien sait que la technique peut bien ou mal faire et qu'il a des projets qu'elle ne peut avoir par définition.

mardi 18 janvier 2022

Les Mots Actionnaires

Les choses ouvragées sont potentiellement en nombre illimité ; l’action les augmente en permanence. Pour autant, et parce que les actions humaines sont outillées, la technique qui les proposent est limitée en qualités et quantités. On retrouve donc, incorporée à chaque matériel, à chaque produit, la même analyse en termes d’identité, d’unité, de similarité et de complémentarité.
"L’actionnaire", qui recueille les mots spécifiques de l'activité, révèle la longueur d’un chemin outillé, celui de l’homo faber. (Nous en sommes à la lettre R)
Réaction:
Agir en anticipant les conséquences, cette attention est spécifique de la praxie où l’action asservit le moyen à la fin, “ce qui n’est pas le propre de la technique”, dit l’ergotrope . Action, technique



On trouvera quelques pages extraites des Mots actonnaires sur le site:



mardi 16 novembre 2021

Non-art et Art

 

Aussi stupide puisse-t-il paraître, l'énoncé d'Allan Kaprow1 : « se brosser les dents quotidiennement a à voir avec l'art », mérite le détour. En jeu, la différence entre Art et art, plus précisément, le rapport axiologique à l'art et l'art lui-même en tant que rationalité spécifique de l'activité. Bref, peu importe ce que fait l'homo faber que nous sommes : ses gestes sont toujours un tant soit peu outillés. Et à considérer cette affirmation, nous gagnerions en compréhension de la technique comme composante à part entière de l'humain et non comme un danger qui nous menace par ses machines rendues incontrôlables et incontrôlées (cf. les réseaux sociaux, le Net et leurs algorithmes en programmes).


1Il le dit en 1986