Thierry
Lefort et Gilles Le Guennec, autour de La Fabrication en Questions au Forum du Livre le 15 octobre 2015
Podcast
TL: Quelques
questions :
Ce
livre renouvelle l'approche que l'on a traditionnellement de la
technique. Il poursuit la démarche de déconstruction entreprise par
l'épistémologue Jean Gagnepain et le neurologue Olivier Sabouraud
qui inscrivent la technique dans les sciences humaines, non pas comme
un ensemble de phénomènes annexes mais comme une dimension de
l'humain aussi importante que le langage, la société ou le droit.
Jean
Gagnepain et Olivier Sabouraud ont posé les bases à la fois
théoriques et cliniques de cette science de la technique qu'est
l'ergologie.
Quel
est l'apport de Gilles Le Guennec à cette théorie du raisonnement
technique qu'est l'ergologie ?
D'abord,
il ne s'agit pas pour moi de faire valoir une particulière
originalité. Je me suis toujours efforcer de me situer dans les
sillons tracés par le maître, aussi servile que puisse paraître
cette obédience. Car pour entendre la parole de Jean Gagnepain,
qu'on savait beaucoup plus débridée que ses livres, il a fallu se
taire et écouter. Bien souvent j'ai cru comprendre ce qui se disait
dans ses cours et ses séminaires et l'expérience patiente m'a
dissuadé de continuer dans la voie de certaines interprétations qui
se sont avérés des malentendus. J'ai mis du temps, par exemple, à
me débarrasser de l'idée que l'instrument faisait référence à
une capacité d'action approximative et je confondais ainsi instinct
et intuition. J'ajoute que j'ai inséré un glossaire dans le livre
pour tenter de réduire ces malentendus, ce ne sont que des sens
provisoires mais ils aident à comprendre la nécessité des
glissements de sens auxquels était contraint Jean Gagnepain.
Ensuite,
et cela explique la complexité du glossaire, les mots de Jean
Gagnepain étaient forts des échanges qu'il entretenait avec la
neurologie par Olivier Sabouraud. Ses mots m'ont ouvert des
perspectives que je n'ai entrevues chez aucun autre penseur et
particulièrement chez les penseurs de l'art. Et paradoxalement en
resserrant le propos d'étude : en évitant comme il le disait
de parler la bouche pleine. Je commencerai par rendre hommage au
maître en soulignant combien le principe de déconstruction m'a
apporté avant que j'essaie moi-même de faire valoir quelques bribes
quant à la manipulation. Nous devons être prudents en parlant de
déconstruction car on pourrait entendre que le terme équivaut à un
rapport critique aux textes ou aux choses. Alors qu'il s'agit de
déconstruire les rapports au réel en quatre réalités :
langage, art, société et droit que tu viens d'évoquer. Ce qui est
en cause ici, c'est l'art entendu comme activité quelle qu'elle
soit, considérée comme faisant partie des beaux-arts ou relevant
des arts et métiers.
TL: Cette
analyse de la technique est mise en perspective avec un champ
d'application qui est celui des arts plastiques. C'est uniquement
pour des raisons historiques, qui tiennent au fait que vous ayez
enseigné les arts plastiques à l'université Rennes 2, ou est ce
que ça répond aussi à d'autres nécessités ?
Bien
sûr, l'analyse de la technique peut être dite par les mots, mais ce
n'est alors qu'une étude lointaine de ce qui a lieu dans le faire
lui-même. Conformément à une volonté de ne pas privilégier le
logos, j'ai visé ce qu'il désignait par le tropos, autrement dit,
l'activité. En conséquence je me suis particulièrement intéressé
aux choses telles qu'elles font en déplaçant l'anthropologie vers
une ergotropie, le mot est de Jean Gagnepain. Pourquoi j'ai choisi ce
rapport aux choses ? Bien sûr, ma situation d'enseignant en
arts plastiques confronté quotidiennement à divers ateliers et
chantiers, à différentes techniques me plaçait devant ce qui se
passe de mots. Maintenant, prendre la main plutôt que la parole,
conduit à une impasse, celle du silence. Et pour sortir de cette
zone d'abandon, je n'ai cessé de souligner que l'analyse était déjà
là, en actions outillées. J'ai tenté de le faire valoir par des
productions analytiques dont le principe est de revenir sur les
conditions de la conduite qui ont produit l'ouvrage. Toutes les
propositions d'atelier qui sont contenues dans l'anti-manuel
procèdent de ce principe. Des détracteurs peuvent rétorquer que
c'est le serpent qui se mord la queue. Serpent ou chat si l'on est
bienveillant, ne renvoient ainsi qu'à la conduite humaine où chacun
tente d'agir sur les choses avec l'impuissance relative de sa
technique. On ne peut pas occulter le rapport de médiation par
l'outil qui nous empêche d'être totalement à notre affaire pour
gérer en même temps la technique qui la traite. Le livre a ses
limites, le DVD vidéo aussi, mais leurs promesses comptent aussi.
TL: Vous
avez sous-titré votre ouvrage un "anti-manuel" et pas un
"manuel". Ce n'est donc pas un livre de recettes ? À quel
public s'adresse-t-il ?
Le
terme d'anti-manuel voudrait indiquer qu'il s'agit de porter son
attention non plus tellement sur le produit que sur le processus qui
y a conduit. Cela implique de ne pas privilégier l'apparence du
résultat pour le mettre en rapport avec la façon de faire qui a été
mise en action. Ça ne veut pas dire pour autant que l'esthétique
n'a pas sa place, la plastique n'est pas absente de mes
préoccupations mais sous conditions, nous y reviendrons.
Le livre est plutôt destiné aux enseignants et aux étudiants en
arts plastiques mais aussi aux anthropologues qui ont suivi la pensée
de Jean Gagnepain. J'ajoute qu'il pourra satisfaire ceux qui veulent
échapper par une analyse à la fascination de l' « objet
d'art ».
On
parle de Roland Barthes aujourd'hui à l'occasion du centième
anniversaire de sa naissance.
A
l'opposé d'une "sémiologie", qui tente de rapporter tous
les faits humains au Signe, c'est-à-dire à du langage, vous opposez
une ergologie qui se fixe pour objectif d'expliquer le raisonnement
technique sans recourir à la métaphore du langage.
Le
terme d'ergologie fut aussi employé par Roland Barthes mais il est
vrai qu'il n'a pas été suivi de développements dans le sens d'une
importance accordée spécifiquement au faire, même s'il a cultivé
l'écriture en tant que technique de signe. L'époque de la
sémiologie tous azimuts a eu pour conséquence un discrédit quant à
ce qui pouvait être énoncé sur l'art avec la grille sémiologique.
Et, pour ma part, les plasticiens que j'ai rencontrés ont toujours
été réticents à entendre un propos qui provenait d'une analyse du
langage. On se méfiait surtout d'une transposition analogique qui
pouvait friser la colonisation de l'art. Maintenant, les linguistes
ont eu leur heure de gloire et il y a plutôt à craindre une
dispersion des analyses et une confusion généralisée liée à la
focalisation sur le sujet. À l'opposé, l'ergologie suppose le
décentrement du sujet vers la raison technique.
TL: On
trouve notamment le terme de "fabriquant" alors
qu'habituellement on le voit plutôt orthographié "fabricant".
Quelle différence faites-vous entre ces deux homonymes ?
Je
ne vois pas tellement d'enjeux à éviter le fabricant avec un « C »
qui désigne l'industriel producteur de l'ouvrage, j'en profite même
pour relever l'importance du fabricant de livre, un producteur de
pensées en pleine évolution avec le numérique. Pour en venir à ce
qui m'intéresse : à la place de la sémiologie du signifiant
et du signifié, par transposition, c'est de fabriquant et de
fabriqué qu'il est question. Quels sont les enjeux ?
Principalement le fait qu'on identifie la technique à un ensemble de
moyens et qu'il s'agit maintenant de la considérer autant comme un
ensemble de fins qui déterminent les choses à faire avant toute
action entreprise. Prenons l'exemple d'une chaise : elle réalise
un fabriquant par des qualités utiles, la solidité de son bâti, la
souplesse du siège et par des quantités utiles, une base à quatre
pieds, un siège et un dossier ; elle propose aussi un
fabriqué : spontanément, on délaissera une chaise bancale car
alors le dispositif de stabilisation n'est pas assuré mais la
stabilisation ne suffit pas (elle ne rend pas la chaise stable pour
autant) pour que vous ayez confiance en prenant la chaise. Vous
pouvez sentir que ses barreaux commencent à se déboîter et vous
vous dites qu'il manque la consolidation. La machine du « pour
s'asseoir » n'est pas nécessairement là dans toute chaise. Et
finalement, vous pouvez vous tenir penché sur une chaise au risque
de la rendre instable. La technique est inefficace. Mais
reconnaissons qu'une chaise libère la pensée du poids du corps ;
on peut presque dire qu'elle fait penser : en nous offrant de la
défatigue, on a tout loisir de parler et d'écouter en négligeant
la gestion de notre masse musculo-squelettique.
TL: En
quoi cette analyse anthropologique de la technique est différente
d'une philosophie de la technique ?
Lorsque
la philosophie envisage l'étude de la fin, notamment par la
téléologie, elle l'assimile à une recherche des intentions, à la
mise en évidence des buts qui sous-tendent l'action. On n'est pas
sorti du rapport à la
finalité sans fin
avancé par Kant dans l'analyse
du jugement esthétique.
C'est une des difficultés de l'analyse proprement ergologique que de
faire la distinction entre la chose à faire et le projet visé. C'en
est une autre de circonscrire le fabriqué, autrement dit de saisir
la fin telle que la technique l'organise matériellement par des
dispositifs . L'analyse est vite plombée par la recherche du
sens : c'est l'angoisse du non-sens qui amène à ignorer ce qui
s'est produit techniquement à l'insu du constructeur. Le sens de la
chose ouvrée, on le trouve dans le service qu'elle nous rend mais
notre attention au service à rendre, nos interrogations
silencieuses - à quoi ça sert ?- nous font oublier le
fonctionnement de la technique elle-même qui ignore nos intentions
et aussi nos actions toujours particulières. Du coup, en face de la
structure fabriquant/fabriqué, l'action impose une nouvelle
structuration du faire. Structure et dialectique sont donc à
considérer...
Les
critiques de la technique sont nombreux en philosophie : elles
sont toutes basées sur l'absence d'être, la négligence de la
condition politique de l'humain. En entrant dans la raison
technique, l'ergologie met entre parenthèse l'avenir historique et
le bien de l'humain pour donner toute sa place à ce qui fait aussi
l'humain, sa capacité d'outil.
TL: Quelle
place doit avoir, selon vous, l'activité dans l'analyse de la
technique ?
Il
y a un néologisme que m'a fourni Jean Gagnepain pour désigner
comment l'activité elle-même et non plus le langage, comme dans la
métalinguistique, comment elle pouvait mettre à jour ce qui se fait
quand on fait : la méturgie.
La production peut faire retour sur elle-même en questionnant sans
mot, par des expériences de manipulations diverses les constructeurs
et les exploitants : comment ça s'est fait et comment ça ne
marche pas. Peut-on mettre à jour un inconscient technique ? A
priori on ne peut pas ; on peut toutefois cesser de penser qu'on
maîtrise tout et se rendre compte que ce qui s'est fait tient à
telle ou telle technique employée. Bien sûr, il ne s'agit pas non
plus de congédier l'implicite freudien, il s'agit de promouvoir du
trajet en oubliant provisoirement le projet. Ce qui veut dire que
l'ergotrope va s'intéresser à la prise des choses en tant qu'action
confrontée à des moyens et des fins préorganisés indifférents à
la chose à faire.
TL: Vous
entrez dans une analyse approfondie d'un "modèle de l'outil".
Quel est cet "outil" dont vous parlez et que vous opposez à
l'instrument ?
Si
j'oppose le moyen et la fin de l'action aux moyens et aux fins
techniques, c'est parce que je reprends la distinction apportée par
l'anthropologie clinique médiationniste entre la capacité
d'instrument, la praxie, et la capacité d'outil, la technie qui sont
révélées neurologiquement par défaut en cas de pathologie
accidentelle, notamment (il y a parmi vous des soignants qui en ont
l'expérience). Lorsque vous assistez à l'étrange conduite de
quelqu'un qui dispose de sa capacité à analyser sa motricité en
terme de mis en rapport du moyen avec la fin mais qui se trompe
d'ustensile et met à l'oreille une allumette enflammée au lieu du
combiné du téléphone, vous vous dites que le mode d'emploi de la
chose ouvrée la plus simple, n'est pas évident pour tout le monde.
La dualité de la conduite en ressort principalement et c'est un
enjeux actuel de considérer qu'on est attentif par praxie et
négligent par technique. Attentif à mettre en rapport le moyen avec
la fin et négligent parce que nous savons que la technique œuvre
pour nous : quelle que soit l'activité, à la plage comme au
boulot, chacun est à la fois attentif et négligent, deux conduites
contradictoires et pourtant co-présentes. Un exemple :
feuilleter un livre, ce n'est pas le lire ; la reliure délivre
des pages de lecture avec un début et une fin qui ne sont pas ceux
du propos. Il y a alors une production d' « objets »
qui ne sont pas exactement des objets de pensée, mais des actions
qui enchaînent des trajets faits de moyens et de fins. L'activité
de lecture s'analyse alors comme une production par pliage et
rétention avec le pouce de la main, notamment. L'attention consiste
par exemple à rechercher tel passage qu'on a déjà lu en relisant
le texte avec un mot en tête, la négligence technique, à se servir
des marques-pages, des signets ou autres marques.
TL: L'ouvrage
s'organise autour de notions qui sont ensuite mises en œuvre dans
des propositions d'activités. Quelle
est la logique/progression de la table des matières ?
Dans
un premier temps, il est question de savoir de quoi il ne sera pas
question : c'est le préambule sur la déconstruction, c'est
aussi le chapitre qui oppose le trajet à l'objet. Puis le livre
transcrit la dissociation des rapports au moyens et aux fins :
mécanologie et téléologie, pour finir par une mise en évidence
des modalités de production : utilitaires, magiques et
plastiques.
TL: Comment définiriez-vous
votre pratique de plasticien et comment se nourrit-elle de votre
expérience
de chercheur ?
L'avantage
de la position de plasticien dans le contexte de l'art contemporain
est qu'il s'intéresse à tout. Tout peut faire le trajet d'une
attention plasticienne ; mais vient tout de suite un bémol :
il y a à faire valoir une réalité qui n'est pas celle de
l'existence socio-artistique de l'art même lorsqu'elle prend parfois
le nom « d'art modeste», car c'est l'activité technique qui
m'intéresse. Et incidemment, Marcel Duchamp n'a pas seulement fait
valoir l'institution par ses ready-made... Il faudrait reconsidérer
à cet égard « les machines célibataires », celles qui
présentent un dysfonctionnement et en particulier le Grand verre qui
présente des brisures accidentelles, des performances discrètes
comme le stoppage étalon : un fil droit horizontal d’un mètre
de longueur tombe d’un mètre de hauteur sur un plan horizontal en
se déformant à
son gré, ceci donne
une figure nouvelle de l’unité de longueur. Il me paraît se
situer dans la fabrication au sens où l'ergologie l'entend de
désinvestissement de l'outil.
TL: A
titre d'exemple vous êtes
venu avec une production qui assemble une certain nombre de
dispositifs. A chaque étage
correspond un ensemble d'éléments
qui se rapportent chacun au même
principe technique, en dépit
des apparences qui nous les font classer habituellement dans des
catégories
"socio-techniques" comme on le dit improprement,
distinctes. Il y a une clé
d'analyse
qui ne surprendra pas ceux qui connaissent vos productions ou qui ont
suivi votre enseignement.
Comment
peut-on les définir
ces "objets"?
Le
principe de classement des machines en fonction d'une identité de
fonctionnement, autrement dit par tâche, selon la terminologie
ergologique, aboutit à des rapprochements très surprenants :
il y a quelques jours, la une du journal Le Monde montrait un des
deux hauts responsables d'Air France enjamber un grillage pour éviter
de se faire encore molester ; l'identification technique va vous
paraître scandaleuse, mais techniquement, pas de différence entre
ce fait et le franchissement d'une frontière par un réfugier
migrant. Le spectaculaire dans cette affaire, c'est l'indifférence
technique qui peut résoudre de façon heureuse ou horrible les
problèmes socio-économiques par un mode de résolution qui ne
trompe personne mais qui est cependant agissant indépendamment de
nos volontés politiques.
TL: S'il
y a une caractéristique
commune au présentoir
et aux objets présentés
au sommet c'est qu'ils tournent. Quelles interactions entre tous ces
objets rassemblés
et ordonnancés
ici ?
/Rotation
On
redécouvre ici l'invention de la roue : avec cette différence
importante, c'est que la roue ne fait pas la rotation, c'est pourquoi
on dissocie l'engin, l'unité de moyen technique et la fin, identité
de fin technique. Dans la roue, il y a bien plus qu'une unité de
moyen : il y a la forme ronde, sa solidité, sa stabilité, et
il y a plus que la roue : un trou qui va accueillir l'axe. Pour
qu'il y ait rotation, il faut tout ça et un changement de
perspective qui place le constructeur devant du nécessaire
« pour rouler ». Car à elles toutes seules,
mécaniquement, les unités de la roue ne font rien qu'élaborer et
structurer le moyen.
La
difficulté et la nouveauté de l'ergologie, c'est qu'elle considère
la technique non plus seulement comme un ensemble de moyens mais
comme un ensemble de fins matériellement organisées, c'est-à dire
avant même d'entreprendre quelque chose, c'est déjà fait, pas
totalement mais il faut ensuite faire avec.
Quant
à la rotation qui est ici exposée, on voit que le DVD voisine avec
cette rondelle qui tourne ; ce qui suggère qu'on peut voyager
de deux façons : on fait tourner les roues de voiture pour se
déplacer ou le disque du DVD dans l'appareil en restant sur place.
TL: Sans
qu'il n'y ait aucune hiérarchie
entre les dispositifs présentés,
à
l'étage
inférieur
on retrouve tout ce qui est relatif à
de
la canalisation.
La
canalisation paraît évidente par le tuyau, elle l'est un peu moins
lorsqu'il s'agit d'une plinthe qui masque et canalise les fils
électriques. Le tuyau est parfois source de confusion : c'est
ainsi qu'on a accusé l'Allemagne de fournir des armes à l'Iraq
avant la guerre du Golfe malgré l'embargo, tout ça parce qu'on a
confondu, vus d'avion, les tronçons de pipe-line avec des canons.
TL: On
poursuit avec une attention non pas à
l'éclairage
mais à
la
réflexion
/ réfraction
En
opposant l'éclairage à la réflexion, on touche à la réalité du
dispositif technique : il fonctionne indépendamment du service
qu'on en attend. L'éclairage n'est pas l'éclairement et l'on
n'attend pas des lampes uniquement un éclairement ; beaucoup de
services les plus divers sont gérés par éclairage : séchage
des encres en imprimerie, chauffage des poussins dans les couveuses,
saturation de certaines couleurs pour la présentation des fleurs et
des mets, etc.
La
réflexion aussi produit un éclairement supplémentaire : un
miroir fait souvent l'affaire pour apporter de la clarté dans une
pièce.
Qu'est-ce
qui oppose la réflexion à la réfraction ? Une réalité
physique, le fait que les rayons rebondissent sur une surface dans un
cas alors qu'ils sont déviés dans l'autre ? L'ergologie pense
les choses autrement : c'est le fait qu'il existe un dispositif
technique qui assure de la réfraction qui fait exister une réalité
différente. La physique est toujours outillée.
TL: L'accrochage
est une préoccupation
centrale chez le plasticien qui est amené
à présenter
son travail. A quoi cela tient-il, si ce n'est à
un
fil, pour que cela fonctionne ?
Le
plasticien fait la différence entre l'accrochage et l'exposition. Et
notamment, celui qui a en charge de mettre pleinement en lumière ce
qui est exposé, ce qui va de pair avec le coup d'oeil final. C'est à
ce moment là que l'attention est cruciale car tous les dispositifs
de l'exposition sont à faire converger par synergie. Et le
commissaire sait que chaque dispositif peut faire n'importe quoi :
il redoute sa polytropie : une pièce peut s'autodétruire par
son propre poids, c'est pas ce qu'on attend d'un dispositif de
présentation comme le cadre qui plombe l'ensemble.
Le
fil assure une suspension, mais on voit que ce n'est pas le seul
service qu'on en attend : chaque ustensile présenté peut ainsi
tourner sur lui-même et faire valoir sa présentation selon tous les
angles. Mais même si ça tourne, il n'y a pas rotation par le fil,
tout au plus du nouage-suspension.
TL: Grille
et grillage pour terminer : c'est d'organisation de l'espace dont on
va parler ici.
On
pourrait encore ajouter le zonage qui est sur nos écrans
d'ordinateurs comme dans nos jardins et nos villes. Le dispositif en
cause est à haut rendement...
Se
présentent à nous des réalités en apparence très différentes et
pourtant, le principe de fonctionnement est identique, qu'on gratte
une carte de chances, qu'on laisse passer l'eau ou qu'on sectorise un
circuit imprimé, finalement on fait techniquement pareil même si on
ne fait pas la même chose.
Conclusion :
La
technique fait nos conduites à notre insu, c'est pour ça (j'insiste
sur le ça!) qu'on peut parler d'un inconscient technique qui
sous-tend nos gestes les plus quotidiens et qui paraissent les plus
simples, à commencer par ceux de la toilette :
Face
au miroir, par exemple, j'ai la technique avec la main droite et sans
problème le gant frotte là où la main va sans regard, mais je
perds la main si j'opère de la main gauche et je suis obligé de
faire attention et l'oeil reprend le contrôle. C'est encore plus net
avec des ciseaux et que vous voulez couper une mèche de cheveux.
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