Le
peintre ne peut s'en prendre à la couleur propre à la représentation que
celle-ci propose sans laisser paraître un objet. Toutes les productions, de l'art
abstrait jusqu'aux derniers développements "matériologiques" d'une peinture
déclarée limitée à elle-même, ne peuvent exclure cette dimension humaine de la
capacité d'objet. Conduire le regardeur
jusqu'à une perception des qualités utiles de la peinture pour les lui rendre
sensibles, est une stratégie de défiance par rapport à l'image mais d'ouverture
vers la réalité autonome de l'activité.
Pierre
Soulages s'est imposé en ce sens[1] en
s'employant à inclure l'espace extérieur, celui des mouvements du spectateur,
dans son oeuvre sur la base minimaliste d'une opposition de matériaux:
brillance et matité. Ce faisant, il porte au plus loin, en le déportant vers
une vision in situ de l'art, un rapport à la couleur entretenu parfois par Paul
Klee ne cessant d'inclure l'activité dans sa peinture. Et c'est ainsi qu'il
revisita le pointillisme pour le relever d'une réduction par fusion otique.
Dans
le tableau cité en référence, (Paul Klee, Croix et colonnes, 1931[2]) les
touches de peinture font suite à des plages colorées de peinture diluée: elles
leur sont alors juxtaposées modulant ainsi une perspective représentative vaporeuse
ou les formes sont à égalité avec le fond, le rejoignant par endroits. Mais, après
une reprise linéaire, les touches superposées en lignes parallèles, nient ce
premier moment et amènent un regard prenant en compte l'opacité et la transparence
de la couleur peinte pour présenter cette dualité de la peinture et du dépeint,
représentatif. Au final, le tableau se transperce puis se fait écran,
alternance entre l'objet et le trajet de la peinture.
Changeons
de support et substituons la plaque de verre à la toile tendue ou la feuille de
papier. Une telle entreprise est-elle possible? Puisque le jeu de touches en
pointillé se règle par changement de tons sur les plages colorées. La question
pointe l'importance de la couleur produite, celle qui doit à la technique qui
la construit. Car je ne pourrais commencer à peindre par touche sans être
confronté à un manque d'incitation: aucune zone prédéfinie à peindre. Quelle
stratégie ferait encore valoir le principe de Paul Klee alors que le support a
changé? Il me faut dans cette expérience, gratter par points répétés les zones
de peinture comme pour imiter les touches de peinture. On voit que le
changement de technique apporte une opération supplémentaire. Celle-ci
suffit-elle?
La
réponse est non, puisque les apparences de touches ne peuvent plus jouer avec
le fond dans un rapport de transparence. Que produit alors cette peinture sous
verre?
La
réponse est celle de Wittgenstein lui-même: fais-la!
...Une
fois faite, je me rends compte que je n'ai pas suivi exactement le programme
prévu: les touches ne sont pas parallèles et ne montrent pas le plan du
support.
Mais,
la productivité de la plaque de verre fait éclat: non seulement l'inversion de
l'image est rendue possible, mais la transparence et la brillance apportent
leur lot de fusion avec l'environnement, constituant d'autres objets.
[1] On
retient pour l'affirmer sa double vision de la tache de goudron, du coq et de
la tache, telle qu'il l'a rapportée dans son article "Sur le mur d'en
face".
[2]Paul
Klee, Croix et colonnes, 1931 https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjWiynnAODPzu2m1NBDLwWqLI9QqEnQ66BnY8lBblgTUL0LO8bNaZu1NLhA3kOOAEfqW9h6CtG62RldiU2bVEf00e2oWdurExfYlv3VevhDkTyHZp4W9MN5y6IpDVIhX1Av7YFsvkQtYvd5/s1600/Croix+et+colonnes+1931.jpg
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