Un
livre n'est pas à mon sens le meilleur moyen pour faire valoir
l'ergotropie (étymologiquement, l'action
par le travail). La
réalité de l'activité pointée par ce mot de Jean Gagnepain se
passe de mots. On est ergotrope au plan de l'activité comme M.
Jourdain faisait de la poésie, sans le savoir. Nous sommes tous
ergotrope, parce que tous techniciens. Et donc, la moindre action
procède et possède en elle-même les ressorts de sa production.
Inutile d'aller chercher midi à 14 heures, l'analyse impliquée par
l'ergotropie est déjà là. Pas tout à fait ce déjà là dont
parle Husserl ; celui en cause est surtout en action. Nous
opérons à distance des choses par le seul recours à l'outil.
Attention : l'outil, comme le dit Jacques Laisis, ce n'est pas
ce qu'on a dans la main. Et donc, il y a à gagner de considérer
l'outil au niveau de l'activité comme le signe au plan du
langage: une capacité abstraite d'analyse. « Comme » : l'analogie est une hypothèse, elle a ses limites :
transposer le langage au plan du faire, c'est aller avec la
sémiologie et la phonologie à la rencontre de l'activité et contre
l'indépendance de celle-ci.
On
garde en mémoire pour ceux qui ont le souci de l'art, l'échec d'une
certaine sémiologie impatiente à grammaticaliser les œuvres.
L'ergotropie
s'écarte pour cette raison de la logique, bien que l'ergologie
puisse servir, elle est l'analyse technique et industrielle en
potentiel et en actes. Il s'agit (encore des mots) de faire émerger
de nos gestes les analyses qu'ils supposent, propres à l'action et à
la technique.
Pour
ce faire je choisis le chantier (terme que les enseignants d'arts
plastiques ont un moment pensé utiliser pour choisir finalement
celui d'atelier qui évoque davantage l'asservissement de l'opérateur
attelé à son travail. Chantier pourtant n'est pas loin de
l'enchantement et de la légèreté du chant. Mais finalement les
deux termes rejoignent la dualité de toute conduite dont il est
questions). Les chantiers rapportés dans la vidéo du premier film
voudraient être en même temps des productions analytiques.
Productions analytiques, au sens où c'est le faire qui tente alors
l'analyse de ce qui se fait implicitement, à l'insu de l'opérateur
lorsqu'il entreprend quelque chose. J'ai proposé 10 chantiers qui
font appel aux spectateurs-facteurs présents pour expérimenter la
validité de l'appareil conceptuel de l'ergologie. Car le souci est
de rejoindre l'analyse qui a lieu et non de bien faire avec la
logique et l'efficacité d'une technologie. C'est ce qui nous sépare
en tant que ergotrope, de toute les technologies et même des
anthropologies aux contorsions logiques.
Nous
avons collaboré avec Thierry Lapeyre à la réalisation de deux
autres films en adoptant une démarche inverse : au lieu de
partir des concepts pour les tester en quelque sorte, nous avons
considéré un moment d'activité en se disant que tout y est, il
suffit d'y entrer avec un regard outillé.
C'est
pourquoi, 12 entrées vous proposent de regarder les films non en
continu mais par flashs, en sélectionnant les séquences qui
correspondent à chaque catégorie.
Nous
avons voulu ne pas privilégier comme bien souvent en Art, les
produits de l'activité. Et aussi nous avons mis en continuité l'Art
avec les arts et métiers pour montrer, à titre d'hypothèse, que ce
qui se passe en Art a aussi lieu ailleurs. Bien sûr il ne s'agit pas
des intentions artistiques, mais d'une organisation de la conduite
sans laquelle l'art n'existe pas. L'art existe, en dépit d'une
sociologie de l'art qui tend à affirmer que l'art n'a aucune
existence sans la reconnaissance sociale. Tous les secteurs
industriels se valent au plan de l'art. On peut renverser la
proposition du Ready made et considérer qu'avant même
l'introduction au musée, l'objet usuel porte une abstraction à
considérer. Certes, les arts et métiers ne sont pas historiquement
et sociologiquement ceux des aventuriers de l'Art.
Mais,
quoi qu'il en soit, la hiérarchie relève de la liberté de chacun,
même si on tend à en établir une. Si donc la peinture artistique
joue au même plan que le jardinage, alors pourquoi pas la peinture
au râteau, la peinture et le nettoyage des vitres. Le
décloisonnement des chantiers séparés par les métiers révèle
des identités et des unités qui traversent toute activité.
Annabelle Dufourcq, La dimension imaginaire du réel dans la philosophie de Husserl, chez Springer Science + Business Media B.V. 2011
commentaire GLG:
Le déjà là s'insurge contre le positivisme réductionniste. Impossible d'appréhender la chose en soi et non-sens de cette formulation. Car la réalité phénoménologique ne se limite pas au passage à l'esprit d'une pré-pensée logique. L'épochè ou réduction transcendantale ne se constitue pas seulement contre l'imaginaire, contre l'être de la chose.
La position médiationniste:
Dans l'immanence, l'objet conçu est aussi immédiatement médiatisé par notre pouvoir faire appareillé de techniques de toutes sortes, chacune proposant un regard de manipulation potentielle spécifique. Le flottement de référence phénoménologique, ce rapport au pré-être de la chose est autant une question de trajet outillé que d'imaginaire rationnel avant d'être rationalisé par ce que l'on en dit. La rationalité visée par La Fabrication en Questions tente de promouvoir la dimension de la conduite technique inhérente à toute activité, elle cherche ce rapport à la chose introduit par l'outil avant qu'on en fasse quelque chose d'autre, avant la production. Visée ici, la rationalité de l'art, celle de la dialectique de l'attention et de la passivité, celle de la structure de la technique et de la production. La fabrication est un pôle omni-actuel par lequel se constitue une culture technique des moyens et des fins, préconstituant mécanologique et préconstiitué téléologique, avant cet autre pôle de l'action technique et ses réaménagements propres à la production.
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