D’emblée, le jeu de mots s’interpose entre la réalité de la terre ameublée, aplanie et nous d’horizons divers. Leur mythe peut être porteur : passons sur « le plantage » qui dit cependant qu’aucun profit de plantation n’est à escompter dans le rapport à l’ordinateur qui s’immobilise comme le légume. La planification m’interroge un peu plus : le mot semble établir la reconnaissance d’une fin installée dans ce plan utile que nos yeux voient d’un seul coup d’œil en réunissant dans un même plan, comme un tableau synoptique, ce qui était séparé : vision d’ensemble outillée par la mise à plat qui unifie artificiellement certes mais qui néanmoins participe à la cohésion de la pensée. Les relations de proximité entre les lettres, entre les lignes comme dans le dessin, aident empiriquement et magiquement à la constitution de rapports sciento ou mytho-logiques, même s’il ne les font pas. Finalement, le mot est un aveu de dépendance par rapport à cette surface plane, ce champ lisse limité qui consigne les faits à mettre en rapport. Il dit principalement la part de finalité déjà là dans la technique : planifier, c’est d’abord utiliser un plan qui va faire son travail de planification : des cases à remplir, des doubles entrées, etc…Un glissement de sens s’impose donc : la planification relève aussi ergologiquement de la tâche et son dispositif comprend le plan matériel.
Dans le jardin on dispose d’un plan trouable et avec l’ordinateur de deux plans : un clavier, plan à bosses, tableau de commande, et un écran, plan à couleurs, écran de contrôle et de commande. La suggestion d’Anna de mettre en continuité le portable avec la plate bande de choux fait valoir cette similarité dans l’outillage : on frappe et l’on clique avec les doigts sur le clavier ou la souris pour programmer ou pour commander l’apparition d’une couleur tandis qu’à défaut de plantoir on fait un trou dans la terre pour commander l’apparition ou le développement de la graine ou du plant. Anna rapporte qu’elle a pu constater ponctuellement avec une personne âgée la confusion entre le clavier de commande du téléphone et le plan de l’écriture, le doigt tentant de commander l’appel en pressant directement sur les numéros de l’agenda. On n’est pas loin de cette réalité avec l’écran où la fin (le résultat) s’affiche sur le même plan que les moyens (le menu), comme la palette sur le même plan que le tableau.
Quant à la question de Dominique de savoir s’il s’agit d’électronique ou d’informatique, je choisis l’informatique en tant qu’équipement électronique destiné à produire de l’information ; il est vrai que j’intègre au propos les tableaux de commandes (tel, celui du radio-guidage) qui relèvent plutôt de la dynamique au sens de secteur industriel défini par Philippe Bruneau et Pierre-Yves Balut.
8 commentaires:
Gilles écrit : "On n’est pas loin de cette réalité avec l’écran où la fin (le résultat) s’affiche sur le même plan que les moyens (le menu), comme la palette sur le même plan que le tableau."
Sur le "même" plan ? Là, ça reste à voir...
Dans le cas d'un logiciel de dessin, par exemple, la palette des "outils" à disposition, d'un côté, et de l'autre les résultats (le dessin proprement dit) figurent effectivement sur un écran unique.
Dire maintenant que cet écran unique forme un seul et "même plan", ben c'est là que je ne te suis plus, Gilles.
Au moment où j'écris ces lignes, j'ai sur mon écran d'ordinateur plusieurs fenêtre ouvertes et qui se superposent. Je peux les faire glisser, les faire passer au premier "plan" ou au contraire au second "plan". Et puis au dernier "plan", il y a celui de mon bureau (virtuel). Avec, pour moi, en fond d'écran, des tulipes jaunes (tiens, nous revoilà dans le jardin !).
Le fait qu'il n'y ait devant mes yeux qu'un (seul) écran ne m'autorise pas à dire que tout ce que j'y vois, s'affiche sur le "même plan". Enfin il me semble.
Il y a certainement beaucoup de façons d'envisager cette question des rapports du jardinage et de l'informatique. Pour ma part, je propose d'ouvrir une piste de réflexion en évoquant une troisième activité, celle des marionnettes et du marionnettiste. La relation entre marionnette et marionnettiste est souvent utilisée comme la figure par excellence de la manipulation (dans les théories du complot, dans les explications déterministes des comportements sociaux...). Cette relation peut sembler en effet l'exemple même de causalité directe : il suffit de suivre les ficelles... (cf. l'affiche du Parrain de Coppola) Or c'est très mal connaître ce qu'est réellement l'art des marionnettes, fait remarquer le sociologue Bruno Latour. Car si on interroge de vrais marionnettistes, ils diront souvent des choses comme "mes marionnettes me suggèrent de faire des choses auxquelles je n'aurai pas pensé moi-même". Il ne s'agit pas simplement d'une inversion de causalité. Il s'agit seulement de constater que si le marionnettiste fait faire quelque chose à la marionnette, la marionnette peut aussi faire faire quelque chose au marionnettiste. La main qui "manipule", dit Latour, peut aussi indiquer le manque de contrôle (mais pas nécessairement un plantage). Evidemment, Latour est intéressé par une lecture sociologique. Mais je pense que cela mérite aussi une lecture ergotropique. D'autant que l'art des marionnettes n'est pas seul concerné. Des sopranos diront que leur voix leur fait faire quelque chose, des musiciens que leur instrument leur fait faire quelque chose... Et sans doute aussi des jardiniers vis à vis des plantes, des informaticiens ou des usagers vis à vis de l'ordinateur. Est-ce que ça vous inspire ?
Jean Michel écrit : « … Est-ce que ça vous inspire ? ».
Oh oui, tout à fait. Qu’on parle de marionnettes, de jardinage, de pêche à la ligne ou d’informatique, il faut bien reconnaître qu’on n’est plus seul maître à bord dès lors qu’on cherche à mettre en œuvre ce qu’on a prévu de faire (planifié, et même répété de très nombreuses fois pour le marionnettiste).
Et c’est vrai, ça ressemble à une « perte de contrôle », au sens où la résistance rencontrée dans le cadre de la mise en œuvre précisément (le bout de tissu qui s’accroche, la terre qui s’avère plus argileuse que prévu, la truite qui n’a pas faim, le logiciel qui « rame ») et qui se manifeste à nous sous forme d’aléas, d’imprévus, sinon d’accidents, y est largement pour quelque chose (autant que nous-mêmes) dans ce qu’au final nous faisons. Ce n’est pas seulement la marionnette qui fait faire quelque chose au marionnettiste, le violon au violoniste, le râteau au jardinier, ou le couteau au boucher (…) à mon avis c’est tout le contexte de la « mise en œuvre » : public, vent, et viande comprise.
Ceci dit, on n’est pas obligé de mettre l’accent sur les « accidents » comme je le fais ci-dessus, pour expliquer que quelque chose dans le travail nous fait faire ce qu’on fait (et qu’on n’avait pas prévu de faire). C’est souvent sur le chantier, c’est à dire « en faisant » qu’on découvre les potentialités des outils ou des matériaux utilisés, comme si leur manipulation, leur contact, éventuellement leur seule appréhension visuelle, nous « suggérait » effectivement (je trouve que le mot est bien choisi) de faire ce qu’a priori, on n’était pas parti pour faire.
Personnellement lorsque j’ai quelque chose à bricoler, et que je ne sais pas trop comment m’y prendre, j’aime bien aller chercher mon inspiration chez Leroy Merlin (Brico-Dépôt peut faire l’affaire aussi, mais c’est moins bien rangé et plus difficilement accessible !). Je passe de rayon en rayon, je manipule des trucs et des machins, je tâte les matériaux, je monte et je démonte (ou plutôt « ça se monte et se démonte »), je colle, je soude, je visse, je boulonne et j’assemble « dans ma tête ». Il y a des fois, même, où ça ressemble presque à de la contemplation tellement je me sens absorbé, comme à l’écoute de tout ce que ces bidules dans les rayons ont à me « suggérer ».
Rentré à la maison avec ce que je crois être « le nécessaire » pour faire ce que j’ai à faire (compte tenu des outils et matériaux dont je dispose déjà), il y a toujours quelque chose que je n’avais pas prévu et qui cloche ou qui manque. Mais tant pis : si je n’ai plus de clous, je mettrai des vis. Et si je ne retrouve plus mon tournevis plat, j’utiliserai des vis cruciformes… Et si elles sont trop longues, je meulerai les pointes (etc.).
Si le résultat de mon bricolage, au final, est socialement « mon œuvre » (pas nécessairement de quoi pavoiser d’ailleurs !), il n’en aura pas moins été largement déterminé par la stratégie commerciale du chef de rayon du magasin LM, par l’étourderie de mon gamin qui ce jour là avait oublié ma boîte à clous sous son lit (canaille !), par l’état de mes « stocks » (vis, clous, pièces diverses) et de ma boîte à outils…
Bref, ce que j’ai fait, je l’ai « fait avec », comme le marionnettiste (que je ne suis pas), doit « faire avec » – je suppose – ses marionnettes, son castelet, son public, sa bouteille d’eau, etc.
Et dans mon jardin en été, suivant le temps qu’il fait, mes tomates me font souvent travailler (hélas) plus que je ne parviens à les faire produire ! S’il fait trop sec, elles ne poussent pas, alors il faut que je les arrose. S’il pleut trop, le mildiou s’y met, alors il faut que je les traite (vive la bouillie bordelaise) ! Il y a celles qui font exprès de buissonner dès que j’ai le dos tourné (les bougresses), qui sont impossibles à tuteurer et que le vent finit par casser. Celles qui produisent trop et qui s’écroulent sous le poids de leurs fruits (les suicidaires ?). Celles qui produisent trop tard et dont les fruits mûriront mal…
Ah, mais c’est qu’elles me donnent fort à faire, mes tomates. Au point que, des fois, j’en viens à me demander qui c’est le patron !
Pour répondre à Marc, ce n’est pas le fait que je ne vois qu’un seul écran d’ordinateur qui me pousse à le constituer en plan utile, unité de moyen fabriquant, mais le fait qu’il détermine une manipulation spécifique, à savoir que, faisant bouger la souris, une petite flèche ou une autre forme se déplace simultanément sur l’écran indépendamment des fenêtres, rendant possible le fait de cliquer ici et là, de faire venir à l’avant plan telle femêtre qui était masquée.
S’il s’agit de prendre en compte des possibilités, le seul fait que je puisse faire passer le contenu d’une fenêtre dans une autre, le drag and drop ou cliquer-glisser, ce pouvoir fait de l’écran une unité de moyen. Certes, chaque fenêtre est là pour afficher des informations spécifiques, ce qui a pour effet de les distinguer, de les séparer en autant de plans. Mais je constate aussi que cette séparation est relative et que la technique rend possible leur mise en relation lorsque je me saisis dans la fenêtre de mon navigateur d’un lien vers un fichier MP3 pour le glisser sur le bureau, j’emploie la continuité possible d’une fenêtre à l’autre les mettant alors sur le même plan.
Dans cette différence d’approche, il me semble qu’il y a la différence entre la modalité plastique et empirique du faire :
Le plasticien ne met pas en relation des objets conceptuellement séparés lorsqu’il joue sur la mise en continuité d’un plan avec un autre comme Cézanne le fit par un traitement égal en touches de l’arrière-plan de la montagne Ste Victoire et de l’avant-plan, il met plutôt en rapport des trajets produits par la peinture et son plan-support principal.
Il est intéressant de constater que cette façon de faire esthétique, liée à l’unité du plan de transcription est écartée par la modalité pratique de production qualifiée d’empirique par Jean Gagnepain. Dans l’image produite empiriquement, ce sont des objets qu’il importe logiquement de distinguer qui sont à imposer.
Un autre fondement à la distinction des plans est à considérer qui nous fait revenir aux plans de la médiation, celle de la dissociation des Gestalt: si la gnosie voit une forme de fenêtre la forme étant l’indice de la fenêtre qui est son sens, la praxie fait d’une autre forme le moyen d’une autre fenêtre qui devient fin parce qu’elle fournit l’accès visé.
Si j'applique ton critère à la lettre, Gilles (tu dis qu'il n'y a qu'un seul plan, et donc une seule « unité de moyen », si "une petite flèche ou une autre forme peut se déplacer simultanément sur l’écran indépendamment des fenêtres"), j'en déduis que là où la petite flèche (ou l'autre forme) en question ne peut PAS se déplacer indépendamment des fenêtre, j'ai donc affaire à plusieurs plans, ou pour reprendre tes mots, à plusieurs « unités de moyen »…
Or précisément, j'ai l'impression que c'est ce qui se passe la plupart du temps : le survol des éléments graphiques (liens, fenêtres, images, objets, etc.) ne détermine pas UNE, mais DES manipulations spécifiques (je ne parle pas des informations spécifiques affichées dans les fenêtres). Ce que je peux faire ici avec ma souris, et la façon dont je peux le faire, je ne peux pas le faire là (pas tout, c’est vrai, je suis d’accord avec toi : la séparation est « relative »).
Sur mon écran il y a des "zones". Elles peuvent être séparées graphiquement (visuellement) sans conséquences sur le plan fonctionnel, du point de vue des manipulations qu’elles autorisent. Mais le plus souvent, le survol de chacune de ces « zones » détermine un ensemble particulier de manipulations possibles. Aussi bien, sur mon écran, l’unité de moyen ne m’apparaît-elle pas si évidente que cela…
En illustration du commentaire de Jean-Michel je propose cette œuvre de Karel Rösel où l’on verra après un certain temps d’accommodation dans le réseau linéaire de la treille, un jardinier aussi erratique que le lierre qu’il fait pousser (en bas à droite de l’image). Ce que dit Jean-Michel fait aussi valoir Jean Gagnepain et sa définition du produit qui intègre, non seulement le trajet, mais le constructeur et l’exploitant de même que les paramètres, financier, temporel et spatial, de la conjoncture. Le produit n’est donc pas à confondre avec le « produit fini » au sens ordinaire.
Oui, je me sens "manipulée"...par l'outil informatique car lorsque j'essaie de "reproduire" en copiant et en collant le résultat escompté n'est pas toujours là!
Il y a parfois incompatibilité entre les applications..on ne prend pas en compte tous les paramètres lors de cette production ...
De même lors d'un semis ...on se laisse parfois dépassé par l'apparition de plants de courgettes ....sur le territoire des patates!!!
Ce n'est pas tout à fait ce qu'on avait prévu, planifié....manque cruel d'expérience ou de connaissance..?
On n'a pas pris en compte l'environnenemnt, les spécificités de la courgette envahissante comme les specificités d'excel et de word: je veux copier coller mon bout de texte enregistré sous excel et me voici avec un encadrement non désiré de mon texte sur ma page word!!!!
Il y a comme des "contaminations" des excroissances , des envahissements de terrains....dans ces cultures!
On est surpris du résultat......et comme le dit jean michel "la marionette peut aussi faire faire quelque chose au marionnettiste" la courgette a pris le dessus et m'oblige à prendre mes bottes, mon couteau pour aller la ramasser et je dois me satisfaire de cet encadrement sinon procéder autrement lorsque je copie un texte issu d'excel!
Loeiza a dit :
« De même lors d'un semis ...on se laisse parfois dépasser par l'apparition de plants de courgettes ....sur le territoire des patates!!! (…) Il y a comme des "contaminations" des excroissances, des envahissements de terrains... dans ces cultures! »
Ah ça c’est bien vrai ! Je me souviens même d’une fois où mes plans de coloquintes (décoratives mais immangeables, les coloquintes) avaient fécondé en catimini et sans autorisation de ma part mes plans de cornichons (pas beaux, mais succulents les cornichons) ! Résultat : des drôles de trucs bizarres, corniquintes ou colochons, je ne saurais trop dire…
Pour poursuivre la confrontation informatique / jardinage, on pourrait aussi voir une analogie (à moins qu’il faille parler d’ana-tropie, d’ana-nomie, ou d’ana-dicée !) entre :
- D’un côté les « mauvaises herbes » qui poussent « toutes seules », sans qu’on les ait travaillées (plantées), sans qu’on les ait invitées ou conviées à s’installer chez SOI et pour finir, sans qu’on les ait projetées, désirées ou voulues.
- De l’autre les « pubs », les « spams », les « virus » etc. qui éclosent sur nos écrans, envahissent nos boîtes aux lettres ou modifient insidieusement le fonctionnement de nos ordinateurs jusqu’à « prendre la main » dessus (marrante cette expression, quand on y pense).
Autre analogie aussi : quand je rentre du boulot, le soir, en été, ou parfois quand je me lève le matin, j’aime bien aller faire un tour dans mon jardin, pour voir si mes courgettes ont bien poussé, si mes radis sont sortis de terre, si mes tomates ont bien mûri… Quelque chose se passe « tout seul » dans la journée ou dans la nuit qui me réserve des bonnes ou des mauvaises surprises, et ce sont ces surprises là qui je crois créent chez moi une sorte d’attente et font que « j’aime bien » comme je disais plus haut aller voir mon jardin (même lorsque je n’ai rien à y faire). Certainement, si les radis sont sortis de terre, c’est le « fruit » de mon travail, mais c’est un fruit dont le processus de mûrissement, si j’ose dire, m’échappe en grande partie : il y a toujours un risque que ça ne marche pas. Et c’est ça qui est palpitant, aussi, dans le jardinage.
Mais c’est aussi ce qui se passe quand on fait un blog. On prépare le terrain, on sème quelques textes, et puis on attend que ça pousse. Après, ça nous échappe un peu. Quelque chose se met en marche qui ressemble aussi à une « perte de contrôle ». On ne maîtrise pas l’émergence de tous les « commentaires » (même si, comme les mauvaises herbes, on peut toujours les supprimer lorsqu’ils nous dérangent). Et puis il y a des commentaires « hors sujet », ceux qui ne poussent pas dans le bon carré de jardin (comme les courgettes de Loeiza qui poussent dans ses patates, et comme celui-là, peut-être). Et c’est tentant (et plaisant) quand on fait un blog comme ça, d’aller voir au petit matin s’il a bien poussé pendant la nuit (ça ne t’est jamais arrivé, Gilles ?) en espérant qu’une taupe (hacker ou troll) n’y sera pas venu faire trop de dégâts… « Longue vie au blog ! » s’exclamait Anna dans un de ses commentaires précédents. C’est, me semble-t-il, lui souhaiter bien autre chose qu’une ophélimité durable…
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