lundi 28 décembre 2015

La chose trajet




Contre l'évidence de l'objet, perçu, imaginé, désigné,
contre l'appellation d'usage de la chose,
contre la satisfaction ou le désagrément qu'elle procure,

il y a, non à inventer comme un mythe à qui suffit le mot, une nouvelle réalité. Celle-ci est déjà là, pathologiquement. C'est par les manquements de nos capacités, fonctions naturelles et facultés culturelles attendues que dans les services neurologiques, dans les lieux de rééducation fonctionnelle, on détecte et on mesure un écart entre l'activité attendue et celle mise en action pour y parvenir. La réalité de la manipulation réside dans ce rapport à ses troubles . Quand on ne peut plus faire ou quand on fait n'importe quoi en apparence, la question est posée de savoir ce qui est déterminant.
La réalité du trajet n'a pas couramment de place dans la physique, la philosophie et les sciences humaines. Catégorie du dictionnaire, elle se confond avec la notion de trajectoire : un déplacement d'un lieu à un autre. Elle y est rivée au sens particulier de changement intervenu par le mouvement d'un « corps » qui se déplace.
Nous savons que notre univers est en évolution, que rien n'est fixe, qu'il s'agisse des particules ou du cosmos. Il y a bien des actions naturelles qui se passent de l'homme et de l'animal, les éléments naturels comme l'eau, le feu, l'air et la terre comportent des forces de changement qui les réaménagent sans cesse.
Si maintenant nous prenons en compte la part spécifique de l'animal et de l'humain, pour eux comme pour nous qui agissons, les choses changent aussi mais autrement, par ce que nous en faisons de moyens et des fins. La différence entre l'action physique et l'action de l'animal ou de l'homme ? Si nous envisageons la pluie, elle nous apparaît largement comme un phénomène naturel sur lequel nous n'avons pas de prise. Largement jusqu'à maintenant où ce fait climatique apparaît clairement comme le résultat de nos activités industrielles. Le même constat de notre participation à l'environnement peut être fait s'agissant de l'air, de la terre et du feu : nous ne sommes pas face à des éléments, évènements naturels, nous les produisons. Y a-t-il des faits qui ne nous doivent rien qui existent et qui existeront indépendamment de nous, de toute éternité ? La recherche quant à la physique des particules voudrait établir l'origine de la matière et de l'énergie, elle se doit de neutraliser notre subjectivité mais elle le fait avec nos appareils dont la construction renvoie à nos propres pouvoirs qui sont nécessairement limités en nombre et en qualités. Bref, nous retournons à cette impossibilité qu'il y a à saisir un réel séparé de nos moyens d'action pour le comprendre.
Nous pouvons penser que le monde existe et évolue indépendamment de nous mais nous ne pouvons rejoindre ce réel que par la médiation de nos moyens et de nos fins élaborés.
Il nous faut requalifier l'objectivité comme une objectivation, une tentative de la science pour poser un objet conçu par le langage logique. Mais pour ce faire elle ne peut que s'appuyer sur la physique constituée de matériel et d'expériences. C'est à ce point qu'on touche au trajet : réalité de la chose en tant que moyen et fin dans le rapport à notre capacité de mouvements.
Voir les choses telles qu'elles font, suppose une posture de travail : nous y recherchons des possibilités d'agir, à moins que cette recherche ne soit dictée par elles, nous orientant vers telle ou telle action. Devant un verre plein d'un breuvage, on n'attend pas qu'il nous fasse entendre une petite musique. Il semble que les choses ouvrées de notre entourage comportent des programmes d'action qui prédéterminent nos activités.


Voici ce que j'appelle de la raquettotropie, soit une raquette qui nous fait voir le monde par l'interception d'un projectile et le placement de notre potentiel muculo-squelettique pour donner des coups en renvoies. Ce n'est pas tout, un filet, principal obstacle, barre la profondeur de l'espace, une aire délimitée impose un ajustement répété chaque fois fonction de la trajectoire reçue de l'autre et celle visée.
L'ergotropie, quant à elle ne veut rien, elle serait par hypothèse ces analyses constituantes et constituées auxquelles nous procédons à notre insu, même si nous ne pouvons pas dire : « sans le savoir ». Ces analyses en termes d'actions, de moyen et de fin qui ont recours peu ou prou à la technique. Nous voilà dans le rapport au trajet outillé. Mais avant, revenons-y, qu'est-ce que le trajet et ensuite qu'est-ce que l'outil ?
Le trajet est une forme de projection du sujet, un jet de ce lui-même qu'il est quand il agit en donnant forme à ses mouvements, les ordonnant, les coordonnant et les fragmentant. Si l'objet suppose la séparation dans l'espace ou le temps entre une forme et un vide, une ségrégation fondée sur l'agrégation de stimuli, qui porte ainsi le nom de perception, le trajet nous situe dans l'activité : nous voyons ce que nous manipulons, ce que nous pouvons manipuler, nous voyons des pouvoir- faire. Le trajet est donc un moyen et une fin, un moyen ou une fin. Pourquoi cette distinction entre le et et le ou. Parce que l'action suppose une prise qui n'est moyen que parce qu'une fin est en même temps, simultanément en vue. Dans l'action, le moyen n'existe pas sans la fin ; ce qui explique qu'on est pris, comme on dit par l'action, préoccupé par cette nécessité naturelle instinctive de mettre en rapport le moyen avec la fin. Par l'action nous sommes asservis au moyen et à la fin.
Quel processus abstrait vient nous délivrer de cet asservissement que Jean Gagnepain nomme capacité d'instrument ? Précisément ce qu'il nomme en opposition notre capacité d'outil. Je parlerai aussi bien d'action que d'instrument, de technique que d'outil, ceci pour rejoindre des acceptions plus communes.

Aucun commentaire: