vendredi 30 janvier 2009

Craig-Martin et le plan impossible


http://artsearch.nga.gov.au/Detail.cfm?IRN=112939
Vous trouverez à l’adresse ci-dessus une installation fort intéressante sous le rapport au plan utile qui fait débat. J’aurais voulu verser une autre photo au dossier : celle d’un side-car en pleine action, proche, c’est flagrant, du planage de la navigation de plaisance.
Pour faire étagère, le plan n’entraîne pas ipso facto l’horizontalité : c’est toute la différence entre un dispositif sensé techniquement, et par définition, assurer la fin et une action qui mobilise pleinement l’attention pour parvenir à la fin visée.
Un littéraire aurait pu souligner ce qu’il aurait pris pour un oxymoron : le contraste évident entre la négligence que suppose cette tablette disposée de travers et l’application minutieuse que suppose la mise au même niveau de chacun des contenus d’eau des flacons.
Pour nous situer plus nettement dans le rapport à l’activité, considérons que la disposition de la tablette dépend d’un équerrage sur deux réglettes à crans : la négligence ne porte pas tant sur la pose de la tablette que sur l’accrochage des équerres. Privilégiant l’action, le constructeur ne fait pas valoir le technicien qu’il ne cesse pas d’être, mais bref, celui-ci préfère l’action correctrice au choix d’un autre système technique.
Toutefois on peut se demander s’il existe un dispositif qui puisse de par son seul fonctionnement assurer l’horizontalité de la tablette, auquel cas nous serions dans le rapport au loisir pur : un rapport au travail tel que le producteur regarderait entièrement les choses se faire pour faire ce qu’il cherche. L’eau, avec son plan semble apporter la solution : remplaçons la pluralité des bouteilles par un seul aquarium et le tour semble être joué.
En apparence, car le plan est là mais le support stable n’est pas au rendez-vous. Il y a de quoi satisfaire un rapport de représentation sensible au monde, il n’y a pas de quoi faire.
Craig-Martin fait ici l’éloge du faire en montrant la différence entre l’objet de représentation : ligne ou plan et le trajet de l’activité outillée qui suppose la mise en rapport mordicus entre le moyen et la fin, l’opérateur étant toujours confronté à l’inefficacité récurrente du dispositif, qu’il s’y prenne « comme un manche » ou comme un ingénieur.
Tout va de travers, parce que les dispositifs mobilisés dans la négligence peuvent produire des effets non-visés. Le dispositif du plan utile n’assure pas de facto la réalisation de l’étagère. Ce qui se fait ainsi montre l’inefficacité fondamentale du dispositif contre laquelle le constructeur agit sans cesse. Mais cette fois, Craig-Martin a vu ce que l’inefficacité fait voir. La voyance en cause porte sur l’écart magiquement résolu entre l’horizontalité présentée que l’eau assure par sa liquidité et l’horizontalité utile de la tablette finalité ordinaire qui finalement n’est plus visée. Il a fallu ainsi de la négligence et de l’attention, du loisir et de l’effort, de l’outil et de l’action.
En latin le niveau d’eau se dit « libella », pourtant, lorsque nous consultons le Gaffiot, une illustration nous est présentée en décalage avec le niveau d’eau du maçon que nous connaissons maintenant : un pendule suspendu entre les deux bras d’un « A ». A chaque époque sa technique et le laser détrône maintenant le niveau à bulle. Mais ce qui apparaît ainsi c’est le peu d’importance accordé au dispositif, qui en l’occurrence était une suspension, et le primat aveuglant conféré à la chose à faire.

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