vendredi 3 octobre 2008

Moyen ou programme?

D’après ce que déclare André Brack sur France Culture, ce 17 juillet 2007, dans la chimie de la recomposition de la vie, les exo-biologistes buttent sur l’ARN et particulièrement sur le fait que ce ruban de protéines qui biologiquement porte les instructions de synthèse destinées à former une cellule vivante, pour l’instant, il n’est possible de le reconstituer que dans ses briques élémentaires sans pouvoir les agencer comme un programme qui se mettrait en fonctionnement spontanément. En somme, les chimistes sont dans le rapport aux moyens mais ne parviennent pas à retrouver l’organisation d’un dispositif qui assurerait par lui-même la tâche de la reproduction . Bref, ils cherchent à se placer dans le rapport à une fin matériellement organisée et recherchent sur Mars ou ailleurs un automate du vivant.
Et nous revenons ainsi à cette question : comment tel marteau se repère comme élément partiel d’un programme de frappe, lié à la pointe et à la planche ou à l’enclume et à la malléabilité d’une quelconque matière ? Comment le constructeur sait-il spontanément qu’il a affaire à une identité relative à une fin pré-organisée ? On sait pathologiquement que cette capacité est distincte de celle qui conduit à appréhender du moyen parce qu’elle peut se détériorer indépendamment de cette dernière. Une bande adhésive sur un rouleau pivotant sur un axe, ce qu’est un rouleau de « scotch », suppose qu’on mette en rapport la bande avec le rouleau, et que le rouleau soit lui-même mis en rapport avec l’axe. Mais ces deux relations correspondent déjà à une organisation de la complémentarité. Pour se placer dans le rapport à de l’identité, il faut supposer que la bande adhésive ne manifeste pas qu’un pouvoir d’adhérence mais offre les possibilités du collage. Tout le problème revient donc à savoir quand est-ce que le constructeur fait valoir par le collage un pouvoir collant. Un autre Braque, le peintre Georges Braque, s’est rendu célèbre pour ses papiers collés ; mais les historiens de l’art comme Jean-Marc Poinsot, prennent bien soin d’indiquer que le recours aux papiers collés ne se confond pas avec le principe du collage dont ils donnent une illustration à travers la production des images fantastiques de Max Ernst. Bien que leur position privilégie fortement l’objet image au point d’en faire la condition sine qua non du collage (si aucune image n’est produite, il n’y a plus, selon eux, de programme de collage), elle souligne la différence entre un agencement finalisé et un autre qui resterait à l’état de moyen. Dans cette affaire on voit bien que le collage est industriellement asservi à une finalité déictique : le récepteur-exploitant lui-même ne voyant que l’image, oubliant son support matériel. Mais on voit aussi que l’exploitant est capable de ne retenir que des papiers collés pour produire une couverture de surface, auquel cas nous nous trouvons dans le rapport à une autre industrie, schématique par exemple lorsque le collage a lieu sur une toiture ou sur un mur d’appartement. Il va alors de pair avec de l’isolation. Demeure la même question cependant : à quelle condition a lieu le passage au collage.
Retournons au principe du dispositif : il demande au constructeur qu’il se laisse conduire par un monde de transformation qui est déjà prêt à fonctionner. Il apparaît alors comme l’un des bords d’une fermeture éclair qui ne demande qu’à s’engrener avec un autre dont nous serions le conducteur avec pour notice, ce mode d’emploi : tirez et l’engrenage se fera. Abandonnant notre pouvoir de faire par l’emploi de nos propres forces physiques, nous nous fions à une puissance externe qui nous ouvrant des voies, nous mène sur les chemins qu’elle a préparés et qui sont nôtres : c’est parce que nous finalisons spontanément un ensemble matériel qu’il prend forme de « déjà là », fin sans finalité, que nous avons à conduire, en tant que producteurs, vers ce que nous avons à faire. Comment sommes nous capables de réunir d’un seul coup cette organisation matérielle ? En y repérant un mode d’emploi, c’est à dire des façons de prendre, de déplacer, une mise en mouvement précise de nos muscles et articulations, orientée sans cependant aller dans le sens de notre visée, fragmentée sans aboutir à notre finalité. Ainsi nous sommes autant employés qu’agents actifs d’une organisation préfabriquée, par une sorte de prise en charge de fonctionnements qui, sans notre attention, ne vont pas nulle part mais pas nécessairement dans le sens que nous visons.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"ce ruban de protéines qui biologiquement porte les instructions de synthèse destinées à former une cellule vivante, pour l’instant, il n’est possible de le reconstituer que dans ses briques élémentaires sans pouvoir les agencer comme un programme qui se mettrait en fonctionnement spontanément."

Hum, ce n'est pas complètement vrai, Jack Szostak à Harvard a montré que certains argiles pouvaient catalyser la formation spontanée de brins d'ARN (j'en parle ici dans la troisième partie du billet :

http://tomroud.com/2008/05/03/compte-rendu-de-symposium-i-evolution-de-la-vie-primitive/ )