mardi 15 juillet 2014

La couleur trajet et objet



Le peintre ne peut s'en prendre à la couleur propre à la représentation que celle-ci propose sans laisser paraître un objet. Toutes les productions, de l'art abstrait jusqu'aux derniers développements "matériologiques" d'une peinture déclarée limitée à elle-même, ne peuvent exclure cette dimension humaine de la capacité d'objet.  Conduire le regardeur jusqu'à une perception des qualités utiles de la peinture pour les lui rendre sensibles, est une stratégie de défiance par rapport à l'image mais d'ouverture vers la réalité autonome de l'activité.
Pierre Soulages s'est imposé en ce sens[1] en s'employant à inclure l'espace extérieur, celui des mouvements du spectateur, dans son oeuvre sur la base minimaliste d'une opposition de matériaux: brillance et matité. Ce faisant, il porte au plus loin, en le déportant vers une vision in situ de l'art, un rapport à la couleur entretenu parfois par Paul Klee ne cessant d'inclure l'activité dans sa peinture. Et c'est ainsi qu'il revisita le pointillisme pour le relever d'une réduction par fusion otique.
Dans le tableau cité en référence, (Paul Klee, Croix et colonnes, 1931[2]) les touches de peinture font suite à des plages colorées de peinture diluée: elles leur sont alors juxtaposées modulant ainsi une perspective représentative vaporeuse ou les formes sont à égalité avec le fond, le rejoignant par endroits. Mais, après une reprise linéaire, les touches superposées en lignes parallèles, nient ce premier moment et amènent un regard prenant en compte l'opacité et la transparence de la couleur peinte pour présenter cette dualité de la peinture et du dépeint, représentatif. Au final, le tableau se transperce puis se fait écran, alternance entre l'objet et le trajet de la peinture.
Changeons de support et substituons la plaque de verre à la toile tendue ou la feuille de papier. Une telle entreprise est-elle possible? Puisque le jeu de touches en pointillé se règle par changement de tons sur les plages colorées. La question pointe l'importance de la couleur produite, celle qui doit à la technique qui la construit. Car je ne pourrais commencer à peindre par touche sans être confronté à un manque d'incitation: aucune zone prédéfinie à peindre. Quelle stratégie ferait encore valoir le principe de Paul Klee alors que le support a changé? Il me faut dans cette expérience, gratter par points répétés les zones de peinture comme pour imiter les touches de peinture. On voit que le changement de technique apporte une opération supplémentaire. Celle-ci suffit-elle?
La réponse est non, puisque les apparences de touches ne peuvent plus jouer avec le fond dans un rapport de transparence. Que produit alors cette peinture sous verre?
La réponse est celle de Wittgenstein lui-même: fais-la!


...Une fois faite, je me rends compte que je n'ai pas suivi exactement le programme prévu: les touches ne sont pas parallèles et ne montrent pas le plan du support.
Mais, la productivité de la plaque de verre fait éclat: non seulement l'inversion de l'image est rendue possible, mais la transparence et la brillance apportent leur lot de fusion avec l'environnement, constituant d'autres objets.



[1] On retient pour l'affirmer sa double vision de la tache de goudron, du coq et de la tache, telle qu'il l'a rapportée dans son article "Sur le mur d'en face".
[2]Paul Klee, Croix et colonnes, 1931 https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjWiynnAODPzu2m1NBDLwWqLI9QqEnQ66BnY8lBblgTUL0LO8bNaZu1NLhA3kOOAEfqW9h6CtG62RldiU2bVEf00e2oWdurExfYlv3VevhDkTyHZp4W9MN5y6IpDVIhX1Av7YFsvkQtYvd5/s1600/Croix+et+colonnes+1931.jpg

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