jeudi 31 janvier 2008

Peinture et peinture


photo: Isabelle Magdinier, Je l'avais sur le bout de la langue

Confronter la peinture à elle-même c’est revenir sur ses conditions de fabrication et envisager comment les dispositifs qui la traversent, à supposer qu’elle existe, expliquent son évolution jusqu’à la disparition de l’atelier de peinture avec son matériel traditionnel, tubes, toile et pinceaux, etc.

Face à l’apparente évidence de ce qui se fait, il y a quelqu’un qui peint, l’ergologue, qui n’est autre que quelqu’un qui cherche à comprendre, en le formulant, comment ça se fait, oppose la multiplicité possible des évidences : s’agit-il d’une représentation où l’image impose sa finalité au point de faire oublier ses conditions de production, est-ce une condition d’artiste qui se cherche en sondant le rapport ontologique et déontologique au lieu, au temps et milieu qui l’accueillent, l’enjeux est-il de valoriser une direction de travail ? Ces trois modes d’interrogation sont investigués par le glossologue, le sociologue et le psychanalyste souvent confondus dans le philosophe. Sur le chemin de la philosophie politique, cette perspective est aussi avancée par Marcel Gauchet (revue « le débat », n°140, mai-août 2006) qui reprend une partie de l’anthropologie clinique médiationniste pour promouvoir l’école de Jean Gagnepain et d’Olivier Sabouraud. Il reste en touche, bien que formellement citée, une réalité qui se passe de mots, celle du constructeur. On peut légitimement s’en étonner si l’on pense aux dispositifs politiques relevés par Michel Foucault (« positivité » et « universaux ») rappelés par Giorgio Agamben dans son opuscule « qu’est-ce qu’un dispositif ? » et bien avant, aux écrits d’Hannah Arendt sur la « Condition de l’homme moderne » , notamment, où le travail et l’œuvre charpentent le propos pour une large part. En ciblant le constructeur peintre, il n’est pas question de rejoindre le nombrilisme individualiste et narcissique qui sévit souvent sous la singularité artistique, mais de spécifier l’art indépendamment des sujets et de la personne.

Bref, il y a quelqu’un qui peint et « ça » se fait, non pas ça se voit et se dit, ni ça y est et se doit être, ni ça désire, veut et plaît, mais ça agit et fonctionne par actions machinales, à la fois routinières et laborieuses.

Pour appréhender cette réalité là, il faut donc se départir des regards représentatifs, éthico-morales et socio-politiques précédents, se cantonner à l’activité pour poser la question de ce qui se fait quand on fait, à l’insu même du constructeur. Ce n’est rien moins que décliner l’inconscient freudien, le dissocier de la conscience éthique et morale pour s’appesantir sur la conduite technique. Cet implicite là fût mis à jour par l’équipe de chercheurs de Rennes 2, au sein du LIRL. Ce sont Jacques Laisis, Hubert Guyard et Attie Duval qui l’ont fait valoir en séparant les troubles neurologiques de l’écriture et du langage, puis en extrayant l’atechnie des apraxies ou troubles de la manipulation mis en avant à l’hôpital de la Salpêtrière. Ceci nous est rapporté par Didier Le Gall, « Des apraxies aux atechnies » et analysé neurologiquement par Olivier Sabouraud dans son ouvrage, « Le langage et ses maux ». On connaissait les aphasiques, pas les atechniques, ceux qui en l’absence de troubles moteurs sont incapables de trouver la porte pour sortir d’une pièce, acceptent sans broncher de tricoter avec une règle, un tournevis et n’importe quoi, confondent une allumette et un téléphone, savent désigner la savonnette qu’il ont en main sans pouvoir s’en servir, font des constructions surréalistes pour planter un clou dans une planche en présence du matériel nécessaire, etc. L’hypothèse d’une ergotropie, soit une modalité de notre rationalité qui est spécifiquement impliquée dans l’activité, fût avancée dans les années soixante, par Jean Gagnepain dont le tour de force consista à quitter le plan du langage pour rendre compte de ce qui pouvait néanmoins se manifester dans un rapport aux mots. Ecrire n’est donc pas une affaire de langage mais de technique. La transposition de la grammaire au plan de l’activité ne date pas d’hier, la sémiologie initiée par Julien Greimas qui s’est engouffré dans la brèche entrouverte par Ferdinand de Saussure lui-même, lorsqu’il admit que tout pouvait faire signe, cette sémiologie a connu ses heures de gloire avec un certain structuralisme colonisant, des commentaires culturels jusqu’aux méthodes des sciences humaines, par des signifiants et des signifiés à profusion.

Les plasticiens ne s’y sont pris au jeu que par l’intercession de Louis Marin et de Jean-Louis Schefer. Mais très vite, la prédominance du langage est apparue, et le propos de sémiologie, un discours qui se refermait sur lui-même, mythiquement , en voyant des sèmes partout.

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